Après plusieurs semaines passées à l’hôpital, Donatey, sexagénaire, ancien assistant d’un célèbre metteur en scène de la première décennie du XXIe siècle est de retour chez lui, dans son appartement de la rue du Séminaire, à Zurich. Il n’est pas seulement tourmenté par la tige de fer qu’on lui a fixée dans l’échine pour stabiliser sa colonne vertébrale, mais aussi par la crainte d’être abandonné par Séraphine, sa compagne bien plus jeune que lui. Il boit du café, fume, regarde par la fenêtre et se rappelle : les trois décennies qu’il a passées dans le monde du théâtre ; ses grands-parents, des juifs d’Offenbach qui parvinrent à émigrer au tout dernier moment. Mathilde, sa mère, qui, jusqu’à sa mort, refusa rigoureusement de révéler les circonstances précises de leur fuite ; des amis comme le fameux sculpteur Ingo Licht, réputé pour ses créations gracieuses, ou comme Piotr, le puissant avocat parisien d’origine caucasienne, jadis trotskyste, puis réactionnaire jusqu’au bout des ongles de la main qui lui restait et avec laquelle il pilotait à l’aide d’un pommeau une grosse Citroën.Trois récits s’entremêlent dans le roman de Luc Bondy. Le narrateur raconte la vie de ses grands-parents, la manière dont ils ont réussi à échapper aux nazis, la jeunesse de sa mère, qui fut entraîneuse dans une boîte de nuit du sud de la France et qui, de son vivant, a laissé à Donatey une kyrielle de petites lettres dissimulées, qu’il découvre au fur et à mesure comme autant de clefs à sa propre existence. Donatey ne connaît pas son père, un Italien de passage dont il lui arrive encore de poursuivre l’ombre lorsqu’il se promène à Florence. Il ignore une bonne partie de ce qu’a vécu sa mère, ne dispose que de ces bribes éparses qu’il reconstitue peu à peu devant sa fenêtre : sa vie de danseuse, ses amours avec un résistant français parachuté par les Anglais qui finira par repartir sans donner de nouvelles. Mais c’est aussi une ombre qui parle : celle de l’éternel assistant, larbin et âme damnée d’un metteur en scène célèbre, toujours au travail, jamais sur l’affiche, fidèle et pétri d’admiration envers son maître, et soi-même détenteur de l’art difficile de l’esquive, de la modestie, de l’invisibilité. Donatey raconte la vie d’un assistant. La suffisance de son patron, habitué à manipuler les personnages sur la scène aussi bien que son entourage dans la vie courante. Un voyage délirant en Afrique, organisé par le grand artiste, et qui s’achève dans le marasme le plus complet après que la compagne du metteur en scène s’est arraché un doigt coincé dans une portière. La déchéance du metteur en scène, à qui nul ne confie plus rien. Et la fin de sa vie, à demi paralysé, réduit à tracer du bout du doigt, sur une plaque couverte de sable, les dernières pensées qu’il semble vouloir laisser à la postérité. Le métier de metteur en scène de théâtre est mort, nous dit Bondy, en 2014 ; ce qu’il reste d’un de ses derniers spécimen ressemble à un personnage de Beckett : Fin de partie.
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